Par un arrêt de la cour d’appel de Versailles en date du 18 février 2021, les juges sont venus apporter des éclaircissements quant à l’étendue des pouvoirs d’investigation et des documents que peut solliciter l’expert-comptable auquel recourt le CSE pour l’assister en vue de sa consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.
Il en résulte que, sous réserve d’un abus de droit et de l’existence des documents sollicités même si leur établissement n’est pas obligatoire, il appartient au seul expert désigné d’apprécier les documents qu’il estime utiles à l’exercice de sa mission. Ces documents pouvant excéder les informations et les documents légalement requis au profit du CSE.
Un comité social d’entreprise a désigné en novembre 2019 un expert CSE afin de l’assister dans le cadre de la procédure d’information consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi. A la suite de sa nomination, l’expert-comptable sollicite rapidement la communication d’un certain nombre de documents. L’employeur lui fournit alors l’accès à la base de données économiques et sociales (BDES) de l’entreprise. Mais pour l’expert, ces informations ne sont pas suffisantes. Le CSE central décide donc d’assigner l’entreprise selon la procédure accélérée au fond pour faire ordonner à l’employeur de communiquer à l’expert l’ensemble des informations et documents qu’il avait réclamés ainsi que l’octroi de dommages et intérêts pour entrave au fonctionnement de l’instance. L’expert-comptable quant à lui intervient volontairement à l’instance pour défendre l’étendue de ces pouvoirs d’investigations, qui pour lui, sont équivalents à ceux d’un commissaire aux comptes.
Dans cette affaire l’expert est nommé dans le cadre de la consultation du CSE sur les conditions de travail et l’emploi qui est l’une des trois consultations qui s’imposent de manière récurrente aux termes de l’article L. 2312-17 du Code du travail.
Or, pour ces consultations périodiques et plus encore pour celle sur la politique sociale, le législateur a défini les informations qui doivent être remises au comité.
L’article L. 2312-18 du Code du travail dispose ainsi qu’« Une base de données économiques et sociales rassemble l’ensemble des informations nécessaires aux consultations et informations récurrentes que l’employeur met à disposition du comité social et économique.
[…]
Les éléments d’informations transmis de manière récurrente au comité sont mis à la disposition de leurs membres dans la base de données et cette mise à disposition actualisée vaut communication des rapports et informations au comité, dans les conditions et limites fixées par un décret en Conseil d’État. […] »
À défaut d’accord, les articles L. 2312-26 et suivants du Code du travail fixent par ailleurs les informations et documents que l’employeur doit mettre à la disposition du CSE « à cette fin », c’est-à-dire pour les besoins de cette consultation récurrente. L’article L. 2312-26 précise que ces informations sont mises à disposition du comité dans les conditions prévues par l’éventuel accord organisant la BDES ou, à défaut d’un tel accord, par l’article L. 2312-36 qui organise la BDES à titre supplétif.
L’article R. 2312-7 du Code du travail dispose que « La base de données […] permet la mise à disposition des informations nécessaires aux trois consultations récurrentes prévues à l’article L. 2312-17 ».
Les informations auxquelles le CSE a droit dans la perspective de sa consultation sur la politique sociale sont donc clairement encadré par la loi.
Il convient alors de se demander si l’expert mandaté par le CSE peut solliciter des informations ou des documents autres que ceux visés par les articles L. 2312-26 et suivants du Code du travail. Pour l’entreprise attaquée par le CSE la réponse est négative, l’entreprise soutient que l’accès à la BDES donné à l’expert suffisait à satisfaire les obligations de l’expert dans le cadre de sa mission dès lors que la base de données est complète et actualisée.
Pour répondre à cette question, la cour d’appel ne se cantonne pas aux dispositions relatives aux documents à communiquer au CSE. La cour prend en compte également les droits de l’expert qui font l’objet, dans le code du travail, d’un corpus de règles spécifiques. L’article L2315-83 du code du commerce dispose à cette fin que « L’employeur fournit à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission ».
Avant la réforme de 2019, Les pouvoirs de l’expert-comptable étaient spécifiquement définis par le code du travail dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise.
Ainsi, l’article L. 2315-89 disposait que « La mission de l’expert-comptable porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise », et l’article L. 2315-90 précisait : « Pour opérer toute vérification ou tout contrôle entrant dans l’exercice de ses missions, l’expert-comptable a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l’entreprise ».
Si ces dispositions ont été remplacées par une disposition plus générale à l’article L2315-83 du code du travail, ce qui conduit à se demander si l’expert-comptable assistant le CSE dans le cadre de la consultation sur la politique sociale dispose de pouvoirs d’investigation aussi larges que ceux reconnus aux commissaires aux comptes.
Sans pour autant statuer expressément sur la position de principe ainsi soutenue par le cabinet d’expertise en référence aux pouvoirs des commissaires aux comptes et sans même viser dans sa motivation les dispositions légales applicables à l’expert,
Sans se prononcer sur la position de l’expert qui faisait référence aux pouvoirs des commissaires au comptes et sans motiver sa décision par les dispositions légales applicable à l’expert, la cour d’appel de Versailles a ordonné à l’employeur de communiquer à l’expert un certain nombre de documents.
Ce faisant, elle a refusé de suivre l’argumentaire défendu par l’entreprise appelante, selon lequel l’accès conféré à l’expert à une BDES complète et actualisée aurait suffi à satisfaire ses obligations vis-à-vis de l’expert et de l’instance.
Afin d’accéder à la demande de l’expert, la cour d’appel a fait une appréciation in concreto de chaque document demandé par l’expert afin de décider des suites à donner. Ainsi les juges du fond ont déterminé qu’ « Il convient de revenir sur les documents sollicités et d’examiner si les demandes formulées par le cabinet [d’expertise] présentent un caractère abusif, étant rappelé qu’il appartient au seul expert‐comptable désigné par le comité d’entreprise (aujourd’hui le CSE) d’apprécier les documents qu’il estime utiles à l’exercice de sa mission, dès lors que celle‐ci n’excède pas l’objet défini par les textes, que l’expert ne peut toutefois pas exiger la production de documents qui n’existent pas et dont l’établissement n’est pas obligatoire pour l’entreprise, qu’il appartient au juge de vérifier si les documents réclamés ont un lien avec la mission confiée à l’expert ».
La cour d’appel a également pu rappeler à cette fin que la confidentialité d’informations contenue dans un document ne pouvait être utilement opposée à l’expert, alors que celui-ci est lui-même soumis à une stricte obligation de confidentialité.
Quelques mois plus tôt la cour d’appel de Lyon s’était déjà prononcée en ce sens en énonçant que « Il appartient à l’expert en application de l’article L. 2315-83 de déterminer les documents utiles à sa mission. […] ainsi la production des documents brut demandé par l’expert, pris à la source, s’avère en effet nécessaire à la réalisation de la mission d’analyse de l’expert et ne constitue pas un abus de droit »
Une jurisprudence constante de la cour de cassation,rendue à l’occasion de la consultation du comité d’entreprise sur les comptes annuels, a effet acquis que l’expert-comptable du comité d’entreprise était seul juge des documents qu’il estimait utiles à l’exercice de sa mission.
De même les documents et informations désigné comme confidentiel par l’entreprise doivent être communiqués à l’expert-comptable qui lui-même est déontologiquement tenu au devoir de confidentialité (Cass. soc., 15 déc. 2009, n° 08-18228).
La seule limite admise à l’accès par l’expert-comptable aux documents de l’entreprise concernait la production de documents n’existant pas et dont l’établissement n’est pas obligatoire pour l’entreprise (Cass. soc., 27 mai 1997, n° 95-21882).
L’enjeu de ce débat et les suites que donnera l’employeur aux demandes de communication de documents formulées par l’expert-comptable, n’est pas négligeable. Il est même triple.
Donner un droit quasi absolu à l’expert-comptable de solliciter tous les documents qu’il estime utile à sa mission, implique que l’employeur puisse être en capacité, au moment venu de collecter et transmettre les documents dans des délais particulièrement courts.
Les délais de communication avec l’expert sont en effet encadrés dans le temps, l’article R. 2315-45 du Code du travail prévoit que pour les expertises rémunérées (hors PSE), l’expert dispose d’un délais de trois jours pour demander à l’employeur toutes les informations complémentaires qu’il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L’employeur a quant à lui un délai de cinq jours pour répondre à cette demande.
Si l’employeur refuse la communication des documents, il serait alors susceptible de se voir reprocher de commettre une entrave au fonctionnement régulier de l’instance. Ne pas renseigner l’expert, c’est en effet potentiellement empêcher son mandant, qu’est le CSE, de pouvoir être éclairé de manière utile et précise dans le cadre de sa consultation. L’employeur encourt donc une sanction pénale mais également civile puisque le juge peut ordonner des dommages et intérêts pour entrave au fonctionnement régulier des institutions représentatives du personnel.
Enfin, le refus de communication de documents à l’expert-comptable peut avoir des effets sur délai de consultation du CSE.
Dans l’arrêt de février 2021, la cour d’appel de Versailles a en effet décidé de « proroger » les délais de consultation du CSE en jugeant que ceux-ci ne prendront fin qu’à l’expiration d’un (nouveau) délai de deux mois après la communication des documents susvisés.
Malgré des circonstances pourtant difficiles, les juges ont tenu à la prolongation du délai et ce alors même que l’arrêt a été rendu en l’espèce près d’un an après la fin du délai de consultation qui avait été fixé par un accord d’entreprise – de deux mois plus longs que le délai prévu par la loi pour cette consultation en l’absence d’accord – et alors qu’entre temps, l’expert avait néanmoins établi son rapport de plus de quatre cent pages.
En droit le Code du travail prévoit que le délai de consultation du CSE (hors consultations pour lesquelles la loi a fixé un délai spécifique) court à compter de la communication par l’employeur des informations prévues par le Code du travail pour la consultation ou de l’information par l’employeur de leur mise à disposition dans la BDES. Ici l’employeur avait mis à disposition cette base de données à jour.
On peut ainsi s’interroger sur le caractère contra legem de cette solution des juges du fond puisque le délai avait légalement commencé à courir.
L’arrêt invite à adopter une approche pragmatique mais prudente dans les suites à donner lors d’une demande de la part de l’expert-comptable du CSE, de communication de documents.
Il est à noter que ce qui vaut ici pour la consultation sur la politique sociale vaut probablement tout autant, voire d’autant plus, pour les autres expertises récurrentes, qu’il s’agisse de celle sur la situation économique et financière de l’entreprise ou de celle sur les orientations stratégiques de l’entreprise.
Élu(e)s du Comité Social et Économique, n’hésitez pas à faire appel à notre cabinet VigiCE pour toute demande d’expertise dans le cadre de votre consultation annuelle sur la politique social de votre entreprise.
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